Paradigme

Une définition des musiques actuelles.

Que l’on parle de musiques d’aujourd’hui ou de musiques populaires, de musiques jeunes ou de musiques amplifiées, toutes se retrouvent sous le terme générique de ’musiques actuelles’. Une appellation qui regroupe un vaste panel de styles musicaux : la Chanson, le jazz, les musiques improvisées, les musiques innovatrices, les musiques traditionnelles de toutes Cultures et les musiques dont l’amplification électrique constitue un élément d’écriture, de création et de diffusion (rock, hip hop, reggae, musiques électroniques…). L’écoute, la pratique et la création n’ont cessé d’augmenter, d’évoluer et de se structurer… Comment se représenter les musiques actuelles… ? Eh oui, cela demande sûrement la construction d’un paradigme. Le projet peut se réaliser au travers de sa mise en mots…

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Publics et Sociabilités

Les Publics et les Sociabilités.

Il existe un public de ’fréquentants’, reflet d’une mosaïque de publics… Ces catégories de publics découlent de phénomènes sous-jacents. Leur analyse fait émarger le rôle et la forme de plusieurs sociabilités…

Sociabilité de consommation. La consommation des pratiques (concert, instrument…) dérive de la consommation des services et des produits. Les fréquentants apprécient de se retrouver autour d’une table ou d’un verre pour discuter entre amis. J’ai appelé cette catégorie : ‘public convivial’…

Sociabilité musicale. Les styles de musiques et leurs looks, associés mutuellement, caractérisent cette catégorie. Parallèlement au concert, les fréquentants musiciens se retrouvent aussi grâce aux écoles de musique, aux répétitions ou aux ateliers… Une relation d’influence s’établit entre la pratique de la musique et celle du concert. Voilà le ‘public musicien’…

Sociabilité rituelle. Le concert est un genre hybride entre le spectacle et le rituel (vestimentaire, musical…). L’analogie avec le rituel religieux est flagrante. On parle aussi de looks ‘tribalisants’. Y a-t-il un retour des ‘tribus’ ? On peut penser au rituel de la rave et à ses règles de sociabilité… Le look est représentatif du style de musique, voire du style de vie de certains fréquentants (fans…). Un langage codé apparaît (vêtements, coiffure, préparation de la sortie, attente au concert, danse de l’avant-scène…). Au-delà du langage et de la musique, c’est un nouveau mode de vie imprégné de nouvelles valeurs qui se profile. La séduction est également une facette importante. Ses signes sont de l’ordre du rituel (sacrifice symbolique de l’artiste…). Elle joue sur le sexe, les sentiments et le désir. Au bout du compte, ce sera peut-être l’extase comme dans le cas du ‘bon concert’ rock. Le look est un élément important du rapport de séduction. Voilà un ‘public de fans’, le ‘public séduit’…

Sociabilité de passion. La mélomanie est mise en avant. Les fréquentants vivent pour la musique. Chez les musiciens, l’écoute et la pratique priment. Le concert est un moyen de continuer à vivre sa passion. Tout est bon pour l’assouvir (théorie de la médiation en acte). Le ‘feeling’ caractérise l’échange avec le public. C’est le ‘bon concert’. Les fréquentants ‘habitent’ la musique. Ils se disent prêts à tout lui sacrifier (cas du ‘rock passion’). Voilà un ‘public passion’, le ‘public mélomane’…

Sociabilité citoyenne. Parmi les fréquentants, les musiciens amateurs revendiquent des conditions de pratiques plus favorables (équipements adaptés, information…), des lieux d’expression garantis et des facilités d’accès… Il s’agit également de (faire) découvrir la Culture de l’Autre (ateliers et artistes en résidence). Les fréquentants s’impliquent aussi dans l’organisation d’événements. Ils militent dans des associations (de la radio libre jusqu’à Attac, les alter-mondialistes, en passant par leurs propres groupes) et se soutiennent mutuellement. Ils se positionnent souvent comme des pairs et soutiennent les plus jeunes, leurs amis et leur famille en assistant à leurs concerts et en leur donnant des conseils… Voilà le ‘public acteur’…

Il existe sûrement d’autres types de sociabilités avec de multiples facettes. Les fusions sont probablement nombreuses…

Voilà l’émergence d’un réseau de sociabilité en continuelle évolution, une sorte de rhizome…

Le mythe rock

Le mythe rock.

Au temps de la pluralité culturelle, le rock reste malgré tout souvent perçu comme une sous-Culture, une pratique culturelle esthétique insignifiante où dominent la spontanéité des acteurs et la débauche d’une énergie vitale non canalisée. Authentique ou vénal, calme ou violent, le rock a trop souvent payé le prix du dérisoire et de la récupération (protéger les intérêts du Père Noël…) sans arriver pour autant au statut de forme artistique, au sens de l’œuvre, même s’il génère à l’envi un nombre croissant de mythes. Le phénomène est plus complexe qu’il n’y paraît. Au-delà de sa spontanéité et de son simplisme apparent, il peut révéler d’insoupçonnables jeux métaphoriques…

L’histoire du rock présente une allure chaotique. Les formes musicales ont sans cesse évolué alors que les mouvements sociaux qui leur sont liés cheminaient sans cohérence. Les ’hippies’, les ’mods’ ou les ’punks’ offrent des configurations sociales, idéologiques et politiques bien peu homogènes. La marginalité du rock pourrait apparaître comme figure unificatrice mais le succès de Presley et des Beatles pousse la marginalité un peu loin. L’économie du rock, par la force du show-business et l’omniprésence de la consommation, pourrait elle aussi révéler l’unité du phénomène s’il n’y avait pas toutes les richesses esthétiques des ’loosers’ mythiques et la militance gratuite des passionnés des petits concerts. Reste l’idée que le rock s’unifie à travers la jeunesse. Mais qu’est-ce que la jeunesse… ?

L’œuvre est liée au mythe et aux temps forts de son émergence. Dans cette perspective, le ’bon concert’ se saisit comme l’instant d’un rapport particulier. Loin de survenir comme la conséquence mécanique de la production de sonorités excessives et rythmées, le ’bon concert’ est la résultante d’un double mouvement : l’événement interactif et les effets qu’il propose et qui se diffractent à l’infini. On peut entrevoir là un début de définition de la spécificité artistique du rock. En tous les cas, il existe un environnement de dispositions qui place le mythe rock au centre de l’événement et qui peut éventuellement l’actualiser en œuvre.

Le rock est lisible au quotidien dans une émergence à mille facettes. Il appartient à qui sait en jouer, trouvant place dans tous les habitus. Chacun peut lui trouver des significations correspondant aux finalités qu’il veut promouvoir :

- Le rock a son élite. Elle se charge de décoder les œuvres, de les nourrir ou de les vider. Elle emprunte aussi bien au verbal qu’au non-verbal (coupes de cheveux, fringues déchirées…). Elle cherche également à maîtriser l’histoire et la connaissance des mythes et à gérer un capital culturel. L’élite rock vit de sa résistance à la banalisation et ne dédaigne pas de se constituer un capital économique. Elle se définit par sa finalité : participer à la réalisation du mythe. Elle entretient donc une relation privilégiée avec le rock : le ’rock passion’, un mythe avec comme premier critère à retenir, l’intensité de l’investissement dans ses valeurs. L’école, le travail et la famille ne sont plus que des points d’appui secondaires dont l’acceptation ou le rejet sont déterminés par leur capacité à promouvoir les pratiques de la musique rock. Le ’rock passion’ n’impose pas le conflit de générations, l’exclusion scolaire ou le chômage mais simplement la soumission à l’ordre du rock. Il fonctionne de manière analogue aux autres passions et influe sur la trajectoire de ses pratiquants . Il s’établit alors une véritable Culture rock…

- A l’opposé, le ’rock d’agrément’ n’en finit pas de prendre du plaisir (danser, communiquer, séduire…). Il a les couleurs de l’époque et l’incertitude du temps qui passe. Sa nécessité est dans le temps libre. Sa pratique ne bouleverse en rien les trajectoires. Il s’immisce comme d’autres pratiques sociales, là où la société organisée lui laisse une place, après le travail ou les cours… En termes d’offre culturelle, le ’rock d’agrément’ n’a qu’un souci : répondre aux besoins et si l’on en juge par les taux d’écoute et les ventes de disques, les besoins sont amplement satisfaits…

Quels éléments de distinction peut-il exister entre la passion et la distraction ? Ni les classes sociales, ni les revenus, ni l’âge, ni le sexe ne semblent être à l’origine de cette différenciation. Pourtant, faute de retrouver les catégories habituelles du sociologue, la passion rock n’est pas une simple caractéristique psychologique. En fait, il faut se tourner vers la métaphore fondatrice du ’rock passion’ comme catégorie d’action. Le mythe aspire le groupe (les amateurs de rock) qui le fait vivre et le conduit à l’action. Il y a donc une sorte d’effet boule de neige entre les amateurs et le mythe. Le ’bon concert’ se révèle un cas d’observation extrêmement riche pour en savoir plus…

Le ’bon concert’ est rare, perdu parmi les simulacres et les copies aux recettes éprouvées (esthétique, mise en scène…). Il est de la même facture et de la même singularité que l’œuvre d’Art. Invisible dans la multitude des productions de concerts ordinaires, il faut le reconnaître et le mériter en quelque sorte pour mieux l’apprécier…

Lors d’un concert, l’immédiateté du regard se pose sur le look. Plus que la tendance du moment qui se déclinera de toute façon à l’infini au fil du temps, l’essentiel est à la tonalité. Elle semble vouloir imposer sa marginalité un tant soit peu provocatrice et l’observateur ne manque pas de s’interroger sur ce qui le décale de cet environnement étrange. Le look indique que le lieu n’est plus à l’ordinaire et que le temps n’est plus à la conformité. Pourtant, au travers de ses ressemblances, le look permet d’accéder à la parole et surtout à la mémoire. Même si les discussions sont éphémères et ne constituent pas véritablement un prélude à plus d’intimité, elles préparent probablement à une reconnaissance prochaine dans un autre lieu. L’ambiance n’est pas forcément à la rencontre amoureuse mais à la prise de contact. Le look est un droit d’entrée dans une communauté volatile où il n’existe aucune règle stable. Il s’agit avant tout d’un jeu implicite où les modalités de valorisation du capital symbolique qu’est le look sont plus qu’aléatoires. La tonalité du look mesure les attentes et préfigure le déroulement du concert…

Le ’bon concert’ instaure un rapport privilégié entre l’intention rock et l’événement. Il dépasse largement l’introduction (la promesse du ’bon concert’). Au fil des morceaux, la salle est pénétrée d’une sorte d’éther. Le concert n’est plus seulement un spectacle divertissant, à l’écoute passive. Le courant passe… Si l’appel de la scène a bien fonctionné, le public se partage entre plusieurs zones. A l’avant-scène se distingue une masse mouvante qui gesticule et s’entrechoque dans une bousculade à mi-chemin entre parade simiesque et danse expérimentale. L’énergie d’abord… Plus loin, dans une sorte de neutralité convenue, les acteurs d’une seconde zone observent et écoutent, acquiesçant par moment d’un geste de la tête ou de la main. Plus loin encore, une partie du public assiste au concert, assise sur les dossiers des fauteuils et sans rien laisser paraître du plaisir qu’elle ressent. Une quatrième zone se dessine également avec les organisateurs accompagnés du réseau des plus ’branchés’. Ils examinent froidement la situation. L’élite reste sévère pour ses héros. Quelques individus se rassemblent dans une ultime zone et gardent une position stratégique autour du bar le plus proche.

L’un des signes les plus caractéristiques du concert qui ne tient pas les promesses de ’l’intro’ est le mouvement ininterrompu des spectateurs à travers la salle, principalement vers le bar. Par contre, les artistes réussissent parfois à entretenir une complicité avec les spectateurs, à provoquer des vibrations comme par télépathie (déclic accrocheur de quelques protagonistes de l’avant-scène…) et à générer une sorte de magie et de feeling spécifique du ’bon concert’. Il se reconnaît au déplacement des zones. L’avant-scène perd son privilège. La seconde zone manifeste son désir de vivre le groupe de plus près. La troisième se lève et se rue dans les allées. Elle laisse voir le plaisir qu’elle ressent sans toutefois abuser de gestes excessifs. Si le processus continue, elle se rapprochera de la scène, bientôt suivie des organisateurs, comme par capillarité. Il faut fusionner avec la scène pour que le vide ne vienne plus indiquer la distance. Il faut également laisser les corps s’extérioriser pour se démarquer de l’image stable et lisible de l’individu situé. Chaque courant, chaque mythe du rock s’actualise dans une figure innovante spécifique (nouveau look, nouveaux héros, nouvelles sensations…). De ce point de vue, le ’bon concert’ est exigeant. Il ne supporte pas les simulacres et le déjà vu. Il laisse donc aux apprentis le soin de jouer aux rockers et préfère ironiser sur les copies que lui offrent le ’rock d’agrément’ et le show-business, trop pressés de faire audience…

Le bon concert

Le bon concert !

Le ’bon concert’ correspond à une expulsion de la société conforme. Il laisse voir la violence, la transe, la fascination et la possession. Les spectateurs qui montent sur scène et qui se jettent dans la foule (les ’slams’) en représentent sans doute une des plus belles images… Le ’bon concert’ devient le moment exceptionnel où les plus distants rejoignent un événement qu’ils se contentaient d’observer. Sa densité abolit les signes admis habituellement : la gestuelle codée du ’fan’ perd son statut de jeu dérisoire pour adolescent en mal de reconnaissance… Le geste s’accompagne d’un plaisir intense, propulsé à l’extérieur sous forme de cris et de sueur. Le spectacle n’est plus vraiment à voir. Il est à vivre …

Cette description contient tous les éléments nécessaires pour justifier les réticences des intellectuels soucieux de Culture et de Civilisation. De plus, elle ne dit rien de la structure interne des œuvres ni des rapports complexes qui lient leur production et leur réception. Pour aller plus loin, l’adoption d’un fil conducteur s’impose. Une approche détaillée des conflits du ’moi’ peut aider à recomposer le regard sur l’objet rock.

Le look est porteur d’une dimension symbolique. Les personnes ’lookées’ se décalent de la conformité. La fonction inhibitrice du ’moi’ ne les contraint donc plus à produire une représentation susceptible d’être approuvée. Cette relecture du look fait émerger une réalité qui peut paraître dérisoire mais dont personne ne peut nier la charge affective et les effets symboliques de dénégation. Le look peut être disqualifié ou trouver place comme ’objet choisi’ dans le système fantasmatique de l’Autre. L’interprétation du look par le biais de la non-conformité conduit facilement à l’idée d’un déplacement du ’moi’. Faut-il en conclure pour autant au délire ou la névrose des porteurs de looks intempestifs ? Rien n’indique que le ’moi’ ait perdu sa fonction d’inhibition. Malgré son déplacement, l’équilibre entre les forces de liaison et de déliaison continue à se maintenir. Le ’moi’ a une fonction inhibitrice qui contraint les gens à la norme. Le look décale le ’moi’ vers une autre norme, parfois narcissique.

Le public des salles de concert n’est pas là par hasard. Il a payé son entrée en signes monétaires et symboliques pour nourrir son imaginaire et il espère atteindre une forme de plaisir qu’il ne trouve pas à l’extérieur. L’entrée dans la salle est une phase d’approche qui permet de se rassurer. L’atmosphère (looks ambiants, musique de fond…) conforte les attentes. Puis, avec le début du spectacle, vient une phase de vérification. L’attitude des artistes produit le même effet que le look. Elle évoque la rupture avec les pressions de la conformité et appelle, par la symbolique spécifique du groupe, à investir d’autres représentations. Pourtant, la non-conformité ne se laisse pas saisir facilement. Les enjeux changent et les produits d’appel (religion, tabous sexuels…) deviennent vite obsolètes. C’est ce qui confère sa magie au concert… La mythologie rock et sa traduction dans les revues spécialisées et les réseaux de l’élite peuvent contribuer à la dynamique du concert, surtout quand le suivisme des ’fans’ se montre important. Rien ne garantit pour autant l’accession au ’bon concert’. L’identification appelée par le groupe peut échouer. L’intensité de l’attente peut s’étioler. Le ’rock passion’ se lasse du conventionnel. Il faut sans cesse surprendre les ’fans’. Seul le ’rock d’agrément’ s’accommode de la conformité…

Si la phase d’approche est souvent longue, le ’bon concert’ commence vraiment avec la seconde phase et suppose que l’identification fonctionne (produits d’appel, réaction de l’avant-scène). Pourtant, il en faut plus. Le spectacle n’est pas forcément que sur la scène. Les spectateurs de l’avant-scène se manifestent bruyamment et renvoient des signes expressifs, perceptibles et interprétables par le reste du public. Ils montrent que le spectacle a un autre sens, que le plaisir pourrait être ailleurs que dans la position confortable de l’écoute et du regard. Le public actif de l’avant-scène constitue la figure de l’Autre-scène. Le spectacle se traduit alors par une performance expressive issue de la scène et de l’avant-scène. Il converge vers une forme privilégiée, la désarticulation des corps, une gestuelle insignifiante du point de vue de l’esthétique et de la danse mais déterminante par sa dimension symbolique. La gestuelle rock traduit l’adoption du concert comme lieu symbolique du renoncement à l’identité sociale que le corps ordinaire dévoile avec le plus d’évidence. Ces symboliques de déplacement de la ’bonne image du moi’ peuvent très bien être rejetées. Leur signification peut être immédiatement refoulée et conduire à des propos comme la ’barbarie’ du rock. A l’inverse et de manière moins dramatique, le jeu du déplacement peut exprimer une modification de la configuration initiale du ’moi’. Les actes des artistes, associés aux signes de l’avant-scène, proposent au ’moi’ une autre position d’équilibre. Ils se positionnent comme de nouvelles références et deviennent des ’objets choisis’ (en accord avec le système fantasmatique de chacun). Le glissement progressif du ’moi’ peut alors survenir et c’est dans ce passage que se fixent, autrement et pour un temps, les pulsions du plaisir. Progressivement, le corps s’anime, le geste parle, la symbolique de rupture s’impose, sans que le ’moi’ n’ait rien à re-dire. L’environnement du concert provoque l’excitation des pulsions de déliaison à travers le jeu des identifications partielles proposé par la scène et l’avant-scène. Le ’bon concert’ devient à la portée de tous. Evidemment, les glissements du ’moi’ ne sont pas spécifiques au concert rock. En tous les cas, ils montrent que les expressions du rock ne peuvent être qualifiées de symptômes névrotiques puisque, loin d’être refoulées, les pulsions excitées par les manifestations de la scène et de l’avant-scène trouvent une voie d’expression acceptée par le ’moi’ qui s’assure des sensations de plaisir plus intenses…

Cette interprétation du ’délire’ des rockers comme manifestation d’une maîtrise du ’moi’ peut paraître surprenante face au désordre apparent, surtout là où certains aimeraient voir du spontané et de l’hystérie…

- Les expressions rock du public servent de supports au montage fantasmatique mais sous le contrôle du ’moi’, le passage à l’acte ne fait que très rarement partie du jeu. Les symboles de violence sont perceptibles mais la violence effective demeure exceptionnelle. Les limites sont connues et sauf exceptions, respectées. La montagne symbolique accouche d’une souris…

- Qui plus est, en cas de dépassement des limites (bagarre…), un cercle vide apparaît immédiatement autour des protagonistes, l’avant-scène se dissout et le jeu est terminé. Le ’moi’ n’adhère plus à l’identification et le public se recale sur la ’bonne image du moi’

- L’identification s’appuie sur les connivences. Elle fonctionne mal avec des concerts où les styles de musique se différencient. Le glissement du ’moi’ devient improbable quand la salle est remplie ’d’étrangers’ aux looks visiblement différents et que les attentes ne sont à l’évidence pas les mêmes…

- Le ’moi’ a besoin de repères pour s’autoriser au déplacement (rythme binaire, métronomique…). L’ordre scénique (placement des musiciens, tempo…) facilite l’aboutissement du ’bon concert’. Derrière une spontanéité apparente, le ’bon concert’ fait appel à un long processus évolutif d’équilibre du ’moi’, entre l’ordre et le désordre… Cette réflexion ne peut se terminer sans évoquer la troisième phase du concert, le retournement. Elle correspond à un moment privilégié du ’bon concert’ où l’identification ne porte plus seulement sur un objet extérieur aux acteurs (religion, sexe…) mais inclut des tendances narcissiques. Quand ces tendances typiques de l’émergence de la libido du ’moi’ deviennent dominantes, une nouvelle forme de plaisir apparaît. Sous l’effet de la désarticulation des corps (obtenue par déplacements successifs du ’moi’), le ’moi’ n’arrive plus à contrôler les pulsions et les acteurs sont confrontés à leur propre image (image du miroir). Ils se retournent alors contre eux-mêmes et l’expression physique désarticulée correspond à une métaphore de leur auto-agression (image du miroir brisé). Le plaisir survient comme par auto-dérision… L’identité de chacun s’est forgée sur le renoncement à l’expression libre du désir (même pour les meilleurs hédonistes…). Dans le ’bon concert’, le vecteur des expressions rock, par le processus du retournement, conduit à une source inépuisable de plaisir…

Malheureusement, les lectures de ces déplacements-retournements n’ont souvent lieu qu’en termes de délire ou de descente aux enfers. Pourtant, le rock s’inscrit dans le mouvement général de la musique. Il conduit à des états situés entre la ’méditation’ et la passion (hypnose, extase ou transe…). Ainsi, le rock n’est plus dérisoire, défaillance de l’humain et de ses valeurs. Dans cet esprit, le ’bon concert’ devient un indice que le rock est œuvre…